mardi 22 avril 2008

Blackened Sorrows : Désespoirs Crépusculaires (démo)

« Forgé dans la Rage et l'Anarchie, aux heures délétères, Blackened Sorrows sème sur son passage de foudroyantes tempêtes de décibels métalliques... ». La tonitruante première phrase de la bio de ce jeune groupe donne le ton et, bon sang ne saurait mentir, reflète assez correctement l'impétuosité de l'escouade. Désespoirs Crépusculaires, une première démo, se compose de trois morceaux carrément honnêtes pour peu que l'on goûte le heavy-thrash tendance tradi, sinon fondamentaliste (laissons l'orthodoxie au black metal moderne).

Maldoror, classique opener, convoque directement l'esprit de Sortilège, le plus lettré des groupes de heavy français (au moins dans le phrasé et l'esprit à la Zouille, et pas forcément dans le timbre agréablement éraillé). Carrément sympathique, ça fait plaisir de constater que l'héritage de cette scène chamarrée, naïve et bon enfant reste vivace ! Au-delà de la filiation musicale, le thème reprend également un filon (et non pas un Villon) littéraire exploité avec constance par la french connection depuis les années quatre-vingt : on citera simplement Morsüre avec Baudelaire (dans un autre genre, j'en profite pour rendre un petit hommage à Forbidden Site et Malveliance qui adaptèrent, certes plus récemment, Artaud et Hugo) ! Bad Karma hésite un peu trop entre ses tendances old school et des références plus récentes (l'intro en harmoniques façon Machine Head) - le prix de la diversité se paie souvent comptant sur le zinc de l'auberge espagnole. Tout en arpèges résonnants, son break très marqué Bay Area (et plus particulièrement Death Angel) emmène tranquillement l'auditeur vers le dernier morceau auquel j'ai décidé de consacrer, fichtre, un paragraphe entier.

Prince des Ruines constitue sans aucun doute le premier hit de Blackened Sorrows : classieux, il explose complètement les deux autres titres et l'on franchit le seuil du « sympathique » pour embrasser celui de l'excellence (oui monsieur). La ténébreuse ligne mélodique sied à merveille à la thématique (ayant distingué le nom Tristelune, je suppose qu'il y est question d'Elric), et l'on ne peut s'empêcher de songer, à nouveau, à la très romanesque scène française de la première moitié des années quatre-vingt. Prince des Ruines est rehaussé d'une chouette partie instrumentale estampillée NWOBHM, solo à tiroirs compris, et trace, avec son agressive mélancolie, un chemin sacrément prometteur pour la bande. Un mot au sujet de la production : c'est fait maison, ça bouffe le chant (d'autant plus dommage que les textes semblent mériter le détour), mais c'est suffisant... pour l'instant ! Il serait bête de passer à côté de Désespoirs Crépusculaires : la maîtrise instrumentale est là, et la personnalité naissante (à chercher, à mon avis, dans le lyrisme puissant du troisième morceau) s'affirmera à coup sûr. A écouter et, bien sûr, à acheter : l'espoir fait vivre, c'est sûr, mais ça ne suffit pas toujours... en particulier dans le metal. A fortiori français.

French young blood, have at you ! Here comes Blackened Sorrows’ first outing, beautifully called Désespoirs Crépusculaires. Descending from a shadowing line of mighty forefathers such as Sortilège, this band is all blue, white and red, while managing to nod to American masters such as Metallica, Megadeth – and also paying its homage to the whole melodic NWOBHM scene. I don’t feel like writing too much about Blackened Sorrows : despite the lack of a good-enough sound, these youth-gone-wild misfits don’t need my words as much as your ears and curiosity. So check’em out on their MySpace (Prince des Ruines is a killer, harking back to the French nostalgic mood of our cultural heritage). And last but not least – hail David, and good luck with the upcoming album !

Désespoirs Crépusculaires (autoproduction, 2008)

01 Maldoror

02 Bad Karma
03 Prince des Ruines

Le
Myspace de Blackened Sorrows.

mardi 8 avril 2008

Hammer of Justice still crushes you

Pour beaucoup, ...And Justice For All n'est qu'une collection foutraque de riffs dont la frénésie n'a d'égale que l'ennui. Pour d'autres, c'est le kouglof de Metallica : aussi indigeste que le célèbre étouffe-chrétien alsacien, ...And Justice For All serait anéanti par sa propre densité - un trou noir au centre de l'ensoleillée Frisco. Et pour les principaux concernés, c'est un album injouable, qui ruina de par sa complexité et sa mise en place métronomique un ou deux concerts de la tournée Damaged Justice et occasionna quelques tendinites au maître incontesté du downpicking - M. Hetfield. Mais pour moi, ...And Justice For All est le sommet créatif de Metallica : une pièce majeure d'extrémité musicale contemporaine, doublée d'un album visionnaire qui contenait déjà, avec parfois quinze ans d'avance, tous les Meshuggah, Coprofago et Necrophagist de la terre - le technodeath moderne et les maîtres de la polyrythmie à la suédoise existeraient-ils dans leurs incarnations actuelles sans un morceau comme The Frayed Ends of Sanity ou les spasmes maladifs et colériques de la chanson-titre ? J'en doute. Et le phrasé guitaristique syncopé d'un Dino Cazares, le latino obsédé, doit certainement quelque chose à l'extrême et tranchante précision d'un Blackened - jusque dans le son quasi blanc, couleur majeure du disque, dès sa puissante illustration de couverture.

Le contexte musical de 1988, c'est-à-dire l'apothéose du hair metal et, bien pire encore, des synthés niaiseux du hard-FM, ne doit pas être oublié : ...And Justice For All réussît à coiffer au poteau des sucreries telles que New Jersey ou Open Up And Say... Aah ! Et pourtant, difficile de moins se compromettre : couler la violence de Venom dans des structures quasi prog et écrire un hit basé sur Johnny Got His Gun à l'heure où des camés péroxydés vendaient des palettes entières sur les roses et leurs épines, c'est largement aussi définitif qu'une déclaration du genre no fun, no mosh, no core. Et pour moi, ça les dédouane pour toujours de ce qu'ils feront plus tard - Metallica est une bête brutale mais intelligente ; c'est bien cette dualité-là qui continue de les perdre parfois. Ne comportant véritablement qu'un seul straight-thrasher (Dyers Eve), ...And Justice For All est certes intimidant de par sa richesse (il y a plus de riffs dans Justice et le monstrueux Eye of the Beholder que dans toute la carrière de Motörhead - mais c'est aussi pour ça qu'on aime Motörhead) ; plus alambiqué qu'une rhétorique soviétique et plus aigu qu'un angle à quinze degrés, mais il continue de botter le cul à neuf albums de metal sur dix, tous styles confondus, qui paraissent aujourd'hui. Enfin, preuve que les grands disques ne révèlent qu'à contrecœur tous leurs petits secrets, je n'ai remarqué que la semaine dernière que la Justice de la pochette (appelez-la Doris) était seins nus. Et pourtant, voici un album que j'écoute depuis dix-sept ans !

Metallica est aujourd'hui un groupe qui a bon dos, concentrant sur lui une quantité astronomique d'attaques (la plus absurde et ridicule étant l'épisode Napster : accuser la bande d'être âpre au gain, c'est oublier qu'elle est déjà multimilliardaire pour les cinq-cents prochaines années) et malheureusement dédaigné par pas mal de nouveaux fans de metal extrême... C'est ainsi, on ne peut pas rééduquer tout le monde (la République Populaire de Chine s'en chargera peut-être un jour), mais, question extrémisme, n'oubliez pas de me prévenir quand The Berzerker ou Xasthur (ou comment le black metal est mort) feront quelque chose d'aussi violent, sombre et artistique que Disposable Heroes ou Battery (pour citer d'autres travaux que ...Justice). Putains d'américains... On aimerait parfois tous les détester mais on ne pourrait pas vivre sans ces quatre-là.

I have had a complex relationship with ...And Justice For All, which is an extremely demanding record - I received it as a Christmas gift when I was 10 and it just took me years (years !) to get into it. Same story goes with Rust In Peace, a commanding and exigent chef-d'œuvre - now, both of them are firmly enthroned in my personal pantheon and I do believe they easily rank among top-five all-time best metal albums. But let's go back to Justice... As a pissed-off, angst-ridden yet mature record, exhaling a mecanic and inexorable rage aimed at the Big Machine, this masterpiece have its spinal cord continuously shaken by desperate spasms - those of a beast who wouldn't die after suffering the loss of one of its main limbs (Cliff Burton). Much and more has been written about its sound, a "love it or loathe it" affair - I choose the former, as I think its sharpened, clinical, almost industrially-cold chugga-crunchiness  only serves its purpose too well. I have listen to that towering, utter piece of modern extremism so many times - I still do and I always will do, 'cause hammer of justice still crushes every-fuckin-thing.

...And Justice For All (Vertigo, 1988)

01 Blackened

02 ...And Justice For All
03 Eye of the Beholder
04 One
05 The Shortest Straw
06 Harvester of Sorrow
07 The Frayed End of Sanity
08 To Live Is To Die
09 Dyers Eve

Le site et le Myspace de Metallica.

...et toujours :

Read the Lightning
Vingt ans déjà !
SKOM : un divan pour le monstre

jeudi 3 avril 2008

Certitudes...

Y'a des trucs, comme ça, qui ne nous trahissent jamais. Ce sentiment de confiance sécurisante, qui nous autorise l'abandon quasi voluptueux à de tranquilles certitudes. Summoning, c'est un peu ça : on sait à quoi s'attendre, c'est invariable à la limite du conservatisme, et... c'est ça qui est bien. Après la semi-déception de Cavalera Conspiracy (semi, car au fond de moi je n'en attendais finalement pas grand-chose, sinon plus grand-chose), il me fallait me remonter le moral métallique (bien que le récent rachat à prix cassés de quelques vieux Overkill y ait déjà fortement contribué). Après avoir commandé à un étrange canadien les deux volumes autrichiens manquant à mon intégrale (Stronghold, paru en 1999, et Lost Tales, datant de 2003), et les avoir attendus pendant trois semaines de suspens postier haletant digne du Porteur de Destin, me voici en possession de ces chroniques des Terres du Milieu. Rien du neuf sous le soleil de Mordor, hormis peut-être une légère et inhabituelle prédominance des guitares sur Stronghold - et sur laquelle on glosa beaucoup (trop) à l'époque.

Pour le reste, on est chez soi, dans de vieilles pantoufles un peu mitées mais toujours aussi confortables depuis le chef-d'œuvre Minas Morgul : minimalisme grésillant en fond sonore (des riffs black metal low-fi grattouillés de façon hypnotique pendant sept minutes sans interruption), baigné dans un mysticisme Bontempi plus efficace - en tout cas pour moi - que n'importe quel chœur de choristes époumonées. Les pochettes, ornées d'illustrations piquées sur des recueils du genre Visions de la Terre du Milieu, demeurent elles aussi immuables : typographie gothique, mise en page inchangée depuis Lugburz, encadrement joli de loin-moche de près réalisée sous Paint, et deux sempiternels portraits de Silenius et Protector en train de fumer la pipe ou de se prendre pour des arbres (oui, oui). Un petit mot tout de même au sujet du mini Lost Tales, qui eût pu se nommer « Summoning Owns You » : pas de guitare, juste des synthés craignos accompagnés de vieux extraits d'interviews de Tolkien. Un disque finalement assez pourri, mais de façon géniale, si vous voyez ce que je veux dire (comme dirait Samsagace). Indispensable pour le fan. Si pas fan, lui préférer, pour le même format court, l'épique Nightshade Forest !

Finissons sur une petite digression, ne concernant d'ailleurs pas Summoning que l'on ne saurait rattacher à aucun autre genre que le sien et qui, contrairement à l'idée reçue, n'est pas exclusivement dédié à la mythologie des Terres du Milieu : le pillage (souvent pour le pire) de l'œuvre fondamentalement chrétienne de Tolkien par le black metal et ses affidés me laissera toujours songeur... Sur ces bonnes paroles, je vais réécouter Oathbound, j'aurais ainsi l'impression d'avoir écouté le prochain album de Summoning en avant-première. Vive Summoning et les orques (je l'écris comme ça, désolé d'être français), à bas Rhapsody et les hobbits !

You won’t ever felt letdown by Summoning. Yeah, with this Austrian moody-woody black metal band, you can for sure bathe in a comfortable certainty : you know the goods will be, as always, delivered. Man, do I love conservatism. Progress is for fuckers unequipped from the start. Anyway, I just bought Stronghold and Lost Tales for two bucks on the Internet and I’m feeling like the happiest motherfucker on the face of the planet… Go figure – isn’t metal a wonderful passion ? You should all share it (I insist). Want me to talk a bit about the two aforementioned records ? Allright – here we go. Stronghold feels like, sounds like everything Summoning is doing since forever. And Lost Tales feels, sounds like Stronghold. Got it, ya bunch of hairy, greasy hobbits ?

Le site et le Myspace de Summoning.